Aid 2007

Réveil qui se manifeste vers 8h30. Vibreur, puis sonnerie stridente qui résonne comme une migraine heureusement éphémère. Pourquoi ai je mis le réveil hier soir ? Personne ne travaille aujourd’hui que je sache ! C’est l’Aid LkbR, la grande fête, plus connue de part chez nous – tout est relatif- comme la fête du mouton. Et dire que la majorité de mes congénaire pensera toujours que « Lkbir » est un animal de ferme qui donne de la laine et que l’on compare aux asservis du système. La nuit a été difficile, une fois de plus. Ce n’est pas la faute du condamné attaché au réverbère en bas de l’immeuble. Il s’est tu au alentour de 23h le bougre. Les yeux collés, j’envoi un message : « je te rappelle vers midi, j’ai mal dormi ». Finalement, après un frugal petit déjeuner que je me suis forcé à avaler, Ayssam m’embarque peu après 11h30. La bise, labas, dieu merci on est encore là. Le trajet est calme, Casabancal n’est pas déserte mais tellement moins agitée qu’on pourrait s’y sentir bien seul. « Tu va voir des trucs de fous aujourd’hui, tu va voir les fours dans les rues… ». Des gazinières à même le bitume ? Des barbecues sur les parvis ? Nous passons chercher un oncle, Derb Sultane, quartier dit populaire pour nous, l’essentiel c’est que tous le monde y a l’air heureux, espérons que cela ne dure pas seulement quatre jours. Ok pour les fours de rue, j’ai compris…tous les 50 m on y brûle têtes, pattes, cornes et semelles de chaussures pour 20 Dh. « C’est le meilleur ça !! ». Moi qui pensais qu’au pire ce serait pour décorer une fois les restes de chaires partis en fumée. Après une bonne cinquantaine de bises, réalisant par la même occasion qu’une nouvelle boucherie fine à ouvert dans chacune des maisons, voire à chaque étage, nous reprenons la route dans les rues de Casabancal direction le fief de la famille Berrada. Ayssam avait déjà pas mal de pluche et de sang sur ses vêtements. Etant donné l’horaire, je m’attendais à retrousser les manches pour aider en cuisine.

Algeria Eid Al Adha

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Rendez-vous sur la terrasse d’un immeuble à Salmia 2, toute la famille est au turbin. Chacun sa tâche : couteaux, raclettes, bassines, sacs poubelles, cordes…L’arsenal est déployé mon colonel. Deux des moutons sont déjà prêts, je n’en verrais pas la couleur. Un autre est sur le devant de la scène, il pend, il vient d’être dépecé.  Je découvre avec stupéfaction une petite vache sous la bâche. Elle m’a l’air moins stressée que les autres, juste un peu abattue par le mauvais temps. Ils détachent un nouveau candidat à l’excellence. Tels de véritables professionnels, le père et ses deux grands fils le couchent, dégagent le cou, et sans hésitation lui administre une caresse saillante au niveau de la carotide. La bête remue quelque peu, ses sabots frappent le sol au rythme des convulsions, puis le calme revient. Ironie du sort, le mouton nous tire la langue en se vidant de son sang, une manière de déculpabiliser les vainqueurs de la chaîne alimentaire. « On refait une prise !! » crie le metteur en scène, qu’on en amène un autre. « Tire la bâche s’il te plait », il ne faut pas que les vivants voient la scène, je suis d’accord, je m’exécute, un peu d’animalité dans ce monde d’humains. La famille toute entière s’agite à chaque exécution : giclée de sang, raclette, on s’écarte, raclette, giclée de sang etc. Un véritable ballet dont la beauté est altérée par un crachin irrégulier que j’avais commandé en Bretagne l’hiver dernier, livré en avance malheureusement.  J’observe, souriant, fasciné, presque pétrifié. Pourquoi ai-je mis cette chemise sous cette veste ce matin ? Un pull à capuche m’aurait permis de mettre deux trois coups de couteau lors du dépeçage. Du coup, nous ne saurons jamais si le courage m’aurait manqué. Il est temps de s’affairer à la rumineuse. Elle est nerveuse désormais, les coups de sabots fusent, mais les protagonistes assurent réellement. La seule différence c’est qu’elle meule par rapport aux moutons. Bien attachée, mise à terre, on opère à la machette cette fois-ci. Le glas sonne, le coup part, la vache geint péniblement, pulvérisant les noeux de la corde qui la paralysait durant l’opération. Les chants religieux aux notes joyeuses résonnent sur la terrasse, accompagnés de clap de mains. Elle se relève, comme réveillée par la lame. Cette jolie brune titube sur les dalles, comme si de rien n’était, à la différence qu’une entaille de 20 cm nous permet d’approfondir notre cours d’anatomie animalière et d’approximer les litres de sang jaillissant de ses entrailles. La scène amuse beaucoup autour de moi. Moi aussi j’y ai pris goût.

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Les enfants prennent des clichés et de courts instants de films sur des téléphones mobiles ou des appareils numériques contrefaits, Vine n’existe pas encore. Puis tout le monde visionne avec engouement et une pincée de fierté. L’Aid, c’est aussi le high tech.

La mise en condition de la vache est plus longue. Je me réfugie donc devant la TV aux côtés du vieil oncle qui s’efforce de me trouver une chaîne plus européenne. Merci vieux, mais j’adore la musique orientale tu sais ! Les pièces de boucheries ne tardent pas à descendre dans les bras des hommes fatigués mais galvanisés par leur tâche à la fois pieuse et familiale. Un thé magnifique, puis deux, puis les premières brochettes cuites à même le salon. La fumée est goutue, je me sens sur ou dans un petit nuage. Mange, mange, mange…Oui, oui, oui ! Se remplissant la panse, tout le monde autour de la table respire la joie de vivre, la vraie. Je ne jugerais pas le goût du cœur, en comparant avec le foie ou les poumons des défunts du jour, qu’importe, ce qui compte ce sont les vibrations de gaieté qui rebondissent de mur en mur. Le ventre plein, les nerfs relâchés, tout le monde est aux anges, excepté le petit gaouiri. Je viens de me brûler avec le dernier verre de thé.

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